Bergson, Les deux sources de la morale et de la religion
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Bergson, Les deux sources de la morale et de la religion
Le souvenir du fruit défendu est ce qu’il y a de plus ancien dans la mémoire de chacun de nous, comme celle de l’humanité. (…) Que n’eût pas été notre enfance si l’on nous avait laissé faire ! Nous aurions volé de plaisirs en plaisirs. Mais voilà qu’un obstacle surgissait, ni visible ni tangible : une interdiction. Pourquoi obéissions nous ? La question ne se posait guère ; nous avions pris l’habitude d’écouter nos parents, parce qu’ils étaient nos maîtres. (…) Nous ne nous en rendions pas nettement compte, mais derrière nos parents et nos maîtres nous devinions quelque chose d’énorme ou plutôt d’indéfini, qui pesait sur nous de toute sa masse par leur intermédiaire. Nous dirions plus tard que c’est la société. Philosophant alors sur elle, nous la comparerions à un organisme dont les cellules, unies par d’invisibles liens, se subordonnent les unes aux autres dans une hiérarchie savante et se plient naturellement, pour le plus grand bien de tous, à une discipline qui pourra exiger le sacrifice de la partie. (…) De ce premier point de vue, la vie sociale nous apparaît comme un système d’habitudes plus ou moins fortement enracinés qui répondent aux besoins de la communauté. (…) Chacune de ces habitudes d’obéir exerce une pression sur la volonté. Nous pourrions nous y soustraire, mais nous sommes alors tirés vers elle, ramenés à elle, comme le pendule écarté de la verticale. (…)
Chacun de nous, à des heures où ses maximes de conduite lui paraissaient insuffisantes, s’est demandé ce que tel ou tel eût attendu de lui en pareille occasion. Ce pouvait être un parent, un ami, que nous évoquions par la pensée. Mais ce pouvait aussi bien être un homme que nous n’avions jamais rencontré, dont on nous avait simplement raconté la vie, et au jugement duquel nous soumettions alors en imagination notre conduite, redoutant de lui un blâme, fiers de son approbation. Ce pouvait même être, tirée du fond de l’âme à la lumière de la conscience, une personnalité qui naissait en nous, que nous sentions capables de nous envahir tout entier plus tard, et à laquelle nous voulions nous rattacher pour le moment comme fait le disciple au maître. (…)
Tandis que la première [morale] est d’autant plus pure et plus parfaite qu’elle se ramène mieux à des formules impersonnelles, la seconde, pour être pleinement elle-même, doit s’incarner dans une personnalité privilégiée qui devient un exemple. La généralité de l’une tient à l’universelle acceptation d’une loi, celle de l’autre à la commune imitation d’un modèle.
Bergson, Les deux sources de la morale et de la religion, I
Chacun de nous, à des heures où ses maximes de conduite lui paraissaient insuffisantes, s’est demandé ce que tel ou tel eût attendu de lui en pareille occasion. Ce pouvait être un parent, un ami, que nous évoquions par la pensée. Mais ce pouvait aussi bien être un homme que nous n’avions jamais rencontré, dont on nous avait simplement raconté la vie, et au jugement duquel nous soumettions alors en imagination notre conduite, redoutant de lui un blâme, fiers de son approbation. Ce pouvait même être, tirée du fond de l’âme à la lumière de la conscience, une personnalité qui naissait en nous, que nous sentions capables de nous envahir tout entier plus tard, et à laquelle nous voulions nous rattacher pour le moment comme fait le disciple au maître. (…)
Tandis que la première [morale] est d’autant plus pure et plus parfaite qu’elle se ramène mieux à des formules impersonnelles, la seconde, pour être pleinement elle-même, doit s’incarner dans une personnalité privilégiée qui devient un exemple. La généralité de l’une tient à l’universelle acceptation d’une loi, celle de l’autre à la commune imitation d’un modèle.
Bergson, Les deux sources de la morale et de la religion, I
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